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Mémoire de la présence Française au Maroc à l'époque du Protectorat
 
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 VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.

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Pierre AUBREE
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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 EmptyJeu 2 Mar - 8:59

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- Kasba de Tifoultout.

Le maître du lieu non plus n'a rien de princier. Petit homme à barbe grise, de mine chétive, vêtu à l’arabe; mais sa djellaba ne brille pas par la blanche pureté dont se parent toujours les grands personnages de la ville. C’est pourtant un frère du Glaoui, son khalifa, son vicaire à Ouarzazat. La conversation avec lui se réduit aux compliments d’usage. Il nous mène à travers un dédale de salles et de plates-formes dont les murs et le sol sont toujours de la même terre battue. Les couloirs, les chambres s'ouvrent dans les cours en noirceurs de caves. Des serviteurs affalés sur une terrasse se lèvent à notre passage ; il y a des négrillons dont les crânes rasés luisent comme des chaudrons au soleil. A l’entrée d’un corridor, des femmes serrées contre le mur nous épient. On entrevoit dans l’ombre le rose, le violet des robes, des paquets de riches couleurs. Nous les regardons du coin de l’œil, et nous passons vite.
L’habituelle cérémonie du thé, la même que dans les grandes maisons citadines : un khalifa du Glaoui suit les usages du monde civilisé. Entrée d'esclaves chargés de plateaux de cuivre, rituelle préparation du breuvage, dont l'officiant fait plusieurs fois l'essai; lait d'amandes et «cornes de gazelles »; échange de propos aimables. La salle est vaste, mais rustique. Des banquettes basses couvertes d'une étoffe à fleurs de pacotille ; au plafond, une peinturlure qui rappelle le décor des sparteries berbères...
L'influence du thé déliant les esprits, un parent du khalifa, un vieux jusque là grave, muet, s’avise de nous amuser d’une surprise. Sortant de son burnous une petite boîte de buis, il nous invite à appuyer le doigt sur un bouton. Merveille ! une minuscule cigogne en jaillit, qui de son bec nous présente une cigarette. Un bibelot que son fils lui a rapporté d’un magasin français de Marrakech, et dont il semble très fier. Ce joujou pour Marocains déride l’assistance, et l’on rit.


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- Kasba de Tifoultout.



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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 EmptyJeu 2 Mar - 8:59

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- Skoura.


Profitant de ce moment d’expansion, nous osons poser quelques questions, auxquelles on veut bien répondre. L’âge du château ? On ne sait pas au juste, mais il est très vieux ; il a peut-être trois cents ans ; ce n’était qu’une kasba comme les autres, mais les Glaoui l’ont plusieurs fois agrandie. Deux cents personnes de la famille du khalifa y vivent avec leurs esclaves. Il y a une mosquée, des prisons, un arsenal, des casernes, des silos, de vastes écuries. Des harkas y ont logé; toute la population de Ouarzazat pourrait se retrancher dans le donjon. Aujourd’hui, le bordj français suffit à assurer la paix; la grande forteresse est inutile; elle ne fait plus qu’attester la souveraineté du Glaoui. C’est la seule qu’il se soit réservée de ce côté de l’Atlas; tous les territoires qu’il tenait sur le versant sud, il les a octroyés à son neveu, le kaïd de Telouet. A lui, les tribus du nord, les « Fils de l’Ombre »; à ce neveu, les « Fils du Soleil ». Mais celui-ci lui paye une forte redevance.

*
* *

Sommes-nous donc ici chez des féodaux ? On l’a cru d’abord, et l’on pouvait s’y tromper On voyait des châteaux forts, des seigneurs, des domaines tenus comme des fiefs et des apanages, des sujets taillables et corvéables à merci. Les traits communs sont évidents, mais il faut regarder le dessous. On découvre alors que la grande assise morale manque, celle qui a fait la force et la durée de nos féodalités d’Europe, j’entends l’idée du service dû à un chef héréditaire dont le droit sur un territoire émane du droit divin d’un roi religieusement institué.


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- Skoura.




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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 EmptyJeu 2 Mar - 9:00

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Nous comprenons mieux ce qu’est un grand kaïd de l’Atlas, et la signification d’une forteresse comme celle de Ouarzazat, depuis que de pénétrantes études ont fait la lumière sur ce monde obscur.
A l’état naturel, originel, la société berbère est anarchique. C’est une multiplicité de communes agricoles, pastorales, jalouses de leur indépendance, toujours sur le qui-vive, car les razzias et les vendettas sont fréquentes. Les clans se disputent les terrains de culture et de pâturage, et d’ailleurs on aime la guerre. Chaque village a sa maison forte ; tous les hommes sont armés. A Zenaga du Figuig, je voyais, au-dessus de chaque toit, le mirador où l’homme, le fusil à la main, montait la garde au-dessus du champ où la femme travaillait. Si continuelle était la menace que l’on enterrait les morts à l’intérieur du mur et dans les ruelles mêmes du village.
Ces petites républiques, on peut les concevoir à l’image des premières cités italiques et grecques, Albe, Rome, Sparte; — ce type de société fut probablement général sur les deux rives de la Méditerranée. Au début, un groupe d’agnats campé sur une hauteur
— on peut dire une acropole, —- derrière une clôture de terre ou de cactus, sous des tours de guet, plus nombreuses à mesure que la gens se multiplie. De la ruche mère, des essaims sortent, qui s’établissent dans le pays voisin, associés par le souvenir de l’ancêtre commun, ligués pour la défense du sol, des biens et de la liberté. Une confédération de villages couvre quelques lieues carrées. Elle a son magasin collectif, sa citadelle, sa mosquée centrale.
Le pouvoir est exercé par le conseil des anciens (djamaa), périodiquement assemblé dans le tighremt du douar ou du canton. Il décide la répartition des terrains et des charges, les corvées, les transhumances, les levées d’hommes pour la guerre.
Le régime social est l’égalité démocratique. Mais le Berbère tend au désordre, et les divisions, les luttes intestines sont fréquentes. Ici, comme il n’arrive pas seulement en Berbérie, de l’anarchie sort le despotisme. Qu’un notable intrigant, ambitieux, soutenu par ses parents, prenne la tête d’un parti, qu’il se révèle bon chef de guerre, le voilà maître. Il commande à la djamaa, il entreprend des expéditions; il conquiert des territoires, occupe un col, une vallée, les barre de puissantes kasbas. Il est amghar ; Il règne autocratiquement sur un pays. C’est encore l’histoire des cités antiques de Grèce et d’Italie, où le tyran s’emparait de la république. Ainsi sont nées toutes les grandes principautés du Haut-Atlas. Dominations très dures et naturellement fragiles, fondées sur un prestige périssable, sur l’idée d’un miraculeux pouvoir du chef, mal assurées par l’hérédité douteuse de cette baraka, favorisées par l’état de guerre; dans la paix, toujours exposées aux défections des partisans, aux complots et révoltes des tribus exploitées. Aujourd’hui, si la puissance des grands kaïds dure, pacifique, incontestée, c’est qu’en 1912 quand la défaite d’El-Hibba, à Si-bou-Othman, leur eut signifié le destin, ils se sont ralliés à notre protectorat; c’est qu’ils ont loyalement rempli la mission que leur confia Lyautey pendant la Grande Guerre de nous garder le pays.
Aussi bien, depuis que nous sommes là, les grandes mangeries ne sont plus permises. Les griefs habituels, les motifs de révolte disparaissent ; la paix règne et la sécurité. Un ordre durable enfin s’établit, et des populations, hier encore presque serves, reconnaissent le bienfait apporté par ces étranges Roumis survenus on ne sait d’où au milieu de leurs querelles et confusions berbères.



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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 EmptyJeu 2 Mar - 9:01

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II

Cette après-midi, route à l’est, avec les officiers du bordj. Une cinquantaine de kilomètres jusqu’à l’oasis de Skoura. C’est à peu près la limite du pays tout à fait pacifié, et on ne nous permet pas d’aller plus loin.
Au bout d’une demi-lieue, nous retombons sur le chaotique désert que nous n’avions vu qu’au crépuscule, et que le feu du soleil désole davantage. De tous côtés, c’est la croûte soulevée et déchirée de la terre, un ondoiement de plans qui se chevauchent, sans herbe, sans humus, où il n’y a que la lumière, les brûlantes couleurs des formations diverses, et les ombres dures des ravins. Dans cette resplendissante pureté des choses, l’eau de l’oued est une traînée de saphir liquide.
Bonne piste, où nous courons assez vite sans que change le paysage. Au nord, se déroule insensiblement la haute chaîne. A perte de vue, devant nous, fuit l’immense vallée, un pays lumineux et mort, sans autres détails que les saillies de la pierre et les levées successives du terrain. Là bas, le Djebel Sarro, où nos troupes opèrent contre les dissidents, s’évanouit en des tons d’améthyste et de rose, si clairs, si légers, qu’ils ne semblent pas appartenir à la matière.
De loin en loin, au long de la route, se lève une kasba. Ce sont les seules habitations que l’on rencontre — la plupart d’ailleurs inhabitées, et à des lieues l’une de l’autre. Si hautes, solitaires, leurs silhouettes qui s’effilent en montant prêtent au pays un caractère fabuleux. Quelques-unes sont environnées de bouquets de palmiers. Mais il en est qui surgissent en plein désert, et ne présentent aucun signe de vie. Qu’est-ce qu’elles font là ? Quelles magies, quels afrits les ont suscitées ? On ne s’étonnerait pas de les voir s’évanouir comme les mirages.
L’une d’elles, avec ses deux grandes tours, sa façade où s’alignent dix grandes arcatures en ogives, avait l’air d’une cathédrale. Les yeux y cherchaient les vitraux. Pas une ouverture visible. A part les fentes des meurtrières, et les rangs de petits trous noirs d’où s’échappent des éperviers, l’édifice est aveugle. Au-dessus de l’ardent pisé, le haut de ces clochers sans cloches est fardé de blanc, tatoué de croix et de zigzags comme le front des femmes berbères. Enigmatique, un peu inquiétante dans la solitude enflammée, cette bizarre église. Impression analogue à celle qu’eurent nos premiers missionnaires au Thibet devant les lamasseries : ils parlaient d’une contrefaçon démoniaque des cultes catholiques.
Ces tighremts, nous en avons vu de tous genres. Des vieux, des neufs, des châteaux de chefs, des châteaux de tribus et de « fractions ». J’ai su depuis que certains de ces édifices sont en effet religieux; des chorfa, de vénérables personnages y résident ou y ont laissé leurs reliques. On y fête des anniversaires; des pèlerins y viennent prier, demander au bienheureux, mort ou vivant, quelque miraculeuse faveur, se pénétrer de l’effluve de sa puissante baraka, qui donne la fortune, guérit les malades, rend fécondes les femmes stériles, assure les célestes félicités.
Quelques tombeaux aussi, de cette forme insolite, un peu chinoise, qu’ont les koubbas cornues du Mzab. Le Mzab, bien des choses nous le rappellent ici. Les longues tours aux arêtes convergentes, et coiffées comme les mausolées de quatre petites cornes, sont toutes pareilles aux singuliers minarets de Ghardaïa et de Beni-Sgen. Et dans les cimetières, reparaissent ces poteries plus ou moins brisées que l’on voit dans les nécropoles ...


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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 EmptyJeu 2 Mar - 9:02

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- Skoura.


... mzabites, et dont personne ne sait au juste la signification. Pour qu'elles se retrouvent à cette distance, ces formes, ces coutumes, il faut qu’elles viennent de la nuit des temps, d’un passé antérieur à la dispersion des Berbères dans les espaces du Sahara. Les Romains les ont sûrement rencontrées chez ceux qu’ils appelaient les Gétules.

*
* *

De loin, derrière un pli fauve, l’oasis de Skoura apparaît comme une ligne de vert pur, merveilleux au milieu des pures aridités. Et bientôt, c’est une corbeille de palmes qui a bien une lieue de longueur. A l’entrée, encore un château, mais vivant, celui-là : toute une petite foule se presse à son pied. Quantité d’enfants qui se précipitent à notre rencontre, nous entourent d’une joyeuse clameur.
Dans un enclos voisin, un menu peuple était absorbé dans un spectacle de danses. Les danseuses — elles étaient cinq ou six autour de l’aire — manquaient de charme, aussi lourdes de type que leurs sœurs de Marrakech, aussi lourdement engoncées dans des caftans verts ou violets. Combien différentes des filles chleuhs, élégantes et libres comme des Dianes dans leurs flottantes draperies bleues ! Peut-être une troupe de chirats venue du Maroc arabe. Ou bien est-ce le métier, réduit à quelques séances de trémoussement rythmique entre de longues oisivetés, qui façonne ce type ? Jaunes visages apathiques avec un rond de rouge vif sur les larges pommettes. Leurs pieds ne quittent pas le sol; à la cadence d’une musiquette de tambourins et de roseaux, elles ondulent surplace, le ventre en avant, toutes ensemble, d’un lent mouvement spasmodique. Elles ont l’air endormies ; leurs yeux semblent ignorer ce que fait de leur corps un mystérieux démon.



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Skoura.



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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 EmptyJeu 2 Mar - 9:03

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- Joueurs de raïta.

Un Européen se blase vite de ce spectacle. Les indigènes ne s'en lassent pas; sa monotonie même, la répétition des gestes, le rythme invariable et fortement marqué par les tympanons — à contretemps toujours — les enchantent, produisant peu à peu leur effet d’hypnose, cet engourdissement extatique où toutes les races d’Orient trouvent le suprême bonheur.
A travers la palmeraie, entre les murets délabrés où s’enferment de frais sous-bois d’amandiers et de grenadiers, parfois un petit champ où de jeunes pêchers en robes roses semblaient danser sur de vertes moissons, nous sommes allés jusqu’au centre de l’oasis, rendre visite au gouverneur du pays, un khalifa du grand Kaïd de Telouet. Il nous attendait dans son jardin, un jardin si beau que la salamalec finie, j’ai demandé la permission d’y rester un peu, tandis que mes compagnons allaient voir la kasba.
Heure exquise au milieu des fleurs; leur parfum flottait dans l’air divin de l’altitude. Des eaux vives, venues de la montagne, couraient dans les rigoles des seghias. Partout, la somnolente rumeur des tourterelles. Des ombres d’ailes glissaient sur la terre éclairée de rayons obliques...
A Marrakech, nous avions laissé le printemps déjà brûlé. Il était là dans sa jeune splendeur. Des jasmins, des iris, des anémones, des daturas chargés de lourdes cloches blanches. Et par grappes, par buissons, par guirlandes jetées d’un arbre à l’autre, des roses, des roses. L’oasis de Skoura est célèbre pour ses roses.



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- Joueurs de raïta

.


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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 EmptyJeu 2 Mar - 9:04

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- Une fête berbère au sud du Grand-Atlas.

-Les gestes rituels des chanteuses.



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- Une fête berbère au sud du Grand-Atlas.


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-Les gestes rituels des chanteuses.



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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 EmptyJeu 2 Mar - 9:06

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VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio118

BIEN INATTENDUE, L’APPARITION, APRES DES HEURES DE SOLITUDE,
DE CES AGRESTES FILLES EN VOILES ÉCLATANTS... RIEUSES, MAIS EFFAROUCHÉES
A LA VUE DES EUROPÉENS...



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BIEN INATTENDUE, L’APPARITION, APRES DES HEURES DE SOLITUDE,
DE CES AGRESTES FILLES EN VOILES ÉCLATANTS... RIEUSES, MAIS EFFAROUCHÉES
A LA VUE DES EUROPÉENS...




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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 EmptyJeu 2 Mar - 9:07

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- La côte de Mogador à marée basse.

MEKNÈS

De Ouarzazat, c’est un long trajet pour gagner Meknès. Rapide remontée dans le nord par la côte, à travers des villes, des paysages, des scènes qui mériteraient d’attentives peintures, mais ces visions furent trop brèves. Mogador, demi-juive, au pied des poudroyantes dunes qui l’enveloppent d’un désert... Un journée dans le pays environnant; la sombre sylve d’arganiers, sous la pluie des sauterelles, et puis la charmante surprise d’un moussem, un vrai pardon de femmes, rencontré dans le pays des Haha. Un souvenir à part, celui-là, l’un des plus lumineux de tout ce voyage. Je reverrai longtemps ces théories de jeunes montagnardes berbères, en grande parure, cheminant, pieds nus, dans les bois, vers un piton que nous avons trouvé déjà couvert d’un essaim multicolore de pèlerins, autour d’une koubba ruinée. Bien inattendue, l’apparition, après des lieues de solitude, de ces agrestes filles en voiles éclatants, harnachées, couronnées de massives bijouteries d’argent et de corail. Une allure de force et de liberté primitive. Bavardes, rieuses, mais effarouchées à la vue des Européens, reculant derrière les arbres quand nous tentions de les approcher. Ah ! l’heureuse et brillante jeunesse ! C’était en pleine forêt, la fleur, la fleur sauvage de l’humanité autochtone.
Ensuite, de nouveau la route à travers la plaine agricole des Abda, des Doukkala.




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- La côte de Mogador à marée basse.




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- Les potiers de Safi.

- Entrée du port de Mazagan.


Nous avons vu Safi, toute blanche, fleurie de rosiers grimpants et de glycines, dévalant sous les parapets de sa citadelle vers une mer enflammée ;
— Mazagan, grise et grave sur son promontoire, pleine, un jour de mauvais temps, du souffle et de la rumeur de l’Atlantique ; ses puissants remparts du XVIe siècle, où s’écrasaient les houles, ses darses, ses vieux canons, sa forteresse portugaise, dont le grand souterrain, en croisées d’ogives, nous rappelait les salles basses du mont Saint-Michel; son vieux port, à la tombée de la nuit, où je regardais les pêcheurs espagnols, en cirés, — je les prenais d’abord pour des Bretons — descendre par des échelles de fer à leurs bateaux, et partir en tirant des bords entre les lignes blanchoyantes de brisants.
Brève halte, le lendemain, à la charmante Azemmour, pittoresquement perchée sur les rochers, des deux côtés de son oued marin, le surplombant de ses vieilles façades herbeuses et de ses tours. A vingt lieues de Casablanca, c’est un des lieux les plus intacts et romantiques du monde arabe.
Le même soir, nous retrouvions, sous les feux de la place de France, la foule et le bruissement d’une grande cité moderne. Et le matin suivant, il n’y avait qu’à reprendre la route de Rabat, et puis continuer tout droit, pour voir, à la fin de la journée, se lever au loin la sévère silhouette de Meknès.



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- Les potiers de Safi.


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Entrée du port de Mazagan.



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Meknès.

I

Meknès, sur un dernier éperon du Moyen-Atlas, se profile comme une île au-dessus d’un vaste pays vide. Elle n’est pas très grande, mais elle ne se disperse pas comme Marrakech à travers des terrains fauves qui semblent des invasions du désert. Elle n’a pas les confusions de Fez l’ancienne, dont les labyrinthes enfoncés dans les ombres d’un humide ravin ne se laissent que difficilement explorer. C’est la ville la plus intelligible du Maroc indigène, la plus parfaite par l’unité de son style et l’élégance de son aspect. Elle est à Fez un peu ce que Versailles est à Paris, à distance de la trop populeuse capitale du nord. Un grand sultan, qui fut le contemporain et l’admirateur de Louis XIV, l’a choisie pour sa résidence, et ses successeurs n’ont jamais cessé d’y séjourner, chaque année, quelques semaines. Elle est prestigieuse par son passé et ses traditions de pure et fine culture islamique.
De la hauteur qui lui fait face au-dessus de l’étroite coupure de l’oued Fekrane, on l’embrasse d’un regard. Grise comme la vieillesse, serrée dans sa muraille, elle couronne sa longue colline, jalonnant l’espace de dix minarets qui montent comme le cri unanime de sa foi musulmane.
Pour bien entendre ce qu’elle dit alors, il faut arriver des boulevards, des immeubles neufs qui couvrent l’arrière de ce plateau. Le contraste est significatif. La ville française, c’est le centre où nos énergiques colons viennent s’approvisionner, préparer leurs entreprises, oublier aussi, de temps en temps, le bled, leur solitude et leur dur labeur quotidien.


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Meknès.



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VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio122

-Moussem des Aïssaouas. Les mangeurs de feu.

- Aïssaouas.


De flambantes façades d’hôtels, des garages, des panneaux de publicité, des cinémas, des dancings, des cafés glaciers où s’exhibent des girls, quel rappel de notre monde d’Occident et de ces deux fins principales de la vie moderne : les affaires et le plaisir !
Le soir de notre arrivée, nous venions de traverser tout cela quand la vieille médina nous apparut, longuement déployée au-dessus du ravin de l’oued. Sur le ciel enflammé du couchant, la procession espacée de ses tours religieuses se silhouettait en noir. Des tours toutes pareilles comme un rang de croyants debout pour la prière. Qu’elle était simple et sérieuse ! Quelle unité de sa figure ! Elle n’exprimait rien que l’immobile et souveraine idée de l’Islam. Même impression que devant ces visages de vieillards en burnous, dont la religion, qui commande toute la vie de l’homme, a fait le style et la lente dignité.




VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio160

-Moussem des Aïssaouas. Les mangeurs de feu.


VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio161

- Aïssaouas.



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VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio123


C’était l’heure du maghreb. Le soleil, derrière la ville obscure, finissait de se coucher; l’ombre couvrait le grand pays concave, et assiégeait déjà les flancs du Zerhoun, quand, sur tous les minarets, apparut le drapeau blanc qui précède l’appel à la prière. Alors l’étrange, mordante clameur que toutes les générations de l’Islam, de Delhi à Mogador, ont entendue, aux mêmes heures de chaque jour, attester le Dieu unique. Allah akbar ! Il n’y a de Dieu que Dieu ! Voix enthousiastes, les mêmes à travers les siècles, voix planantes, dont le vol successivement élancé aux quatre coins de l’espace par le moueddin qui fait lentement le tour de son belvédère, se prolonge comme pour jeter à la face de toute la terre la formule musulmane de l’absolu.
Les sommets du Zerhoun voyaient encore le disque de feu descendu sous l’horizon. Quelques instants, ils restèrent éclairés de rose. Et puis, au fond du ciel, des cirrus s’enflammèrent, qui peu à peu s’éteignirent à leur tour. Alors une zone obscure, une sorte de fumée d’un bleu sourd commença d’envahir tout le ciel à l’Orient. Le pays marocain s’enfonçait dans l’ombre projetée par la Terre dans l’espace. Il me semblait voir insensiblement tourner vers l’est la file obscure des minarets de Meknès.
Alors d’autres monuments s’évoquaient, très lointains, qu’emporte avec ceux-ci l’énorme et silencieuse rotation du globe : les cathédrales de la vieille Europe, les ruines de la Grèce antique, les temples de Haute-Egypte, les pagodes de l’Inde et de la Chine, les gratte-ciel d’Amérique — toutes les floraisons de pierre et de métal où les variétés et les civilisations de l’homme ont exprimé l’essentiel de leur génie et de leur rêve, et que la planète présente successivement au soleil et à la nuit.

II

Meknès reste dans la mémoire comme la ville des portes. Portes de la Medina : Bab Berdaine, Bab Mellah, Bab Khemis, Bab Sidi Labdine, Bab Mansour-el-Neuj. Portes de l’Aguedal : Bab Filala, Bab Reir, Bab Sidi-Amar, et les autres dont je ne sais plus les noms. Celles de l’ouest sont les plus fières, dressées à mi-flanc ou sur la crête du plateau, dominant le clair et profond pays où, jusqu’à l’horizon, mille collines d’un bleu cristallin s’entrecroisent comme les vagues d’un océan figé.
La plupart ont gardé leur parure des premiers jours, plus heureuses que celles de Marrakech et de Fez, dont la ruine fait l’émouvante majesté. C’est toujours le même thème, apporté par les Arabes d’Espagne, et dont leurs ancêtres avaient reçu les éléments de la Perse sassanide et de Byzance. De larges arcs superposés et festonnés de lobes, rayonnant dans la face carrée d’un pylône, cernent l’ombre intérieure d’une voûte. Alentour, dans les écoinçons, fleurissent de sinueux lacis de faïence bleue ou noire. Trois bandeaux perpendiculaires enferment les grandes courbes dans la rigueur de leurs lignes et la richesse de leur décor. Je cherchais pourquoi les cintres et les ogives de notre moyen âge n’ont pas ce caractère d’orgueil et de triomphe. Sans doute, c’est qu’ici l’arc, au lieu de tomber comme la tranche d’un mur, revient par en bas sur lui-même. Il descend au-dessous de son centre, dépassant, outrepassant en deux ressauts concaves les courtes verticales des pieds-droits et suggérant à l’œil l’anneau complet. Alors, c’est comme une gloire dont vont s’envelopper un sultan victorieux, un imposant cortège de cavaliers. Ajoutez la magnificence de l’arraba, ce noble rectangle de bandes brodées ou scripturaires qui soumet le tout à un ordre impérieux et rigide. A la crête, un rang de créneaux et, sur les côtés, deux bastions font sonner la note guerrière.


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Mais, au-dessous de ces royales portes, que les choses et les gens sont humbles ! L’éternel contraste musulman de grandeur et de misère. Des pentes dénudées, des masures, des talus de poussière, des aveugles qui vagissent au bord du chemin, quelques paysans berbères assis devant leurs petits tas d’oignons, çà et là un vieux Juif en souquenille qui semble un corbeau noir, un vieil Arabe en burnous qui semble un corbeau blanc, des enfants dépenaillés, une file de bourricots chargés d’herbes qui descend ou remonte...
Au loin, s’étend un grand paysage, et quelle beauté quand un morceau s’en inscrit dans le fer à cheval d’une voûte ténébreuse ! De Bab Sidi-Labdine, derrière les cubes neigeux du Mellah, on aperçoit de graves ruines de bordjs et de remparts au seuil de la plaine, et, plus loin, sortant d’un bouquet d’arbres, le fin minaret de Sidi-Saïd, un village isolé qui raye la nappe agricole d’une pure ligne blanche. Par delà, à perte de vue dans l’ouest, l’étendue tourmentée s’évanouit dans la lumière...

*
* *
Sous Bab Berdaine, s’allonge le cimetière de Sidi-Aïssa, le plus poétique et religieux du Maroc, un vrai lucus, dont je reviens quelquefois goûter le repos et le silence. En cette saison, les tombes y disparaissent sous une jungle de fleurs. On y voit toujours des femmes recueillies dans leurs voiles, des groupes d’une candeur sculpturale sous les micocouliers et les oliviers multi centenaires. Il y a là beaucoup de mausolées dont les vieilles coupoles grises ajoutent à la solennité du beau verger.
Mais, parmi ces tombeaux, il en est un, célèbre dans toute l’Afrique du Nord, qui fait de Meknès une seconde Mecque pour les Aïssaouas, — celui de Moulay ben Aïssa, le fondateur de la secte, le saint entre les saints, presque un dieu pour les affiliés. Une fois par an, dans le cimetière qui porte son nom, d’étranges tumultes se déchaînent.
J’ai vu ce spectacle deux fois, à Fez et à Kairouan. A en juger par les récits que m’en ont faits des Français de Meknès, et les photographies qu’il est possible aujourd’hui d’en prendre, il est ici plus extraordinaire encore.
Dans les deux jours qui précèdent le moussem, les pèlerins affluent par hordes, à pied, à dos de bêtes, en chemin de fer, une incroyable multitude (cent vingt mille, l’an dernier, nous disait-on) — et de toutes les parties du Maroc, d’Algérie même. Ils arrivent énervés, excités par le voyage, chaque tribu, pour entrer en ville, précédée de ses drapeaux et de ses musiques, encadrée par ses mokkadems qui les guident, les disciplinent, les frappent parfois du bâton. Effroyable ruée de chaque troupe à la porte du champ sacré; ils se battent, s’étouffent pour pénétrer dans l’enclos du tombeau dont chacun veut baiser la pierre sainte. Dès le premier soir, il ne reste plus une herbe dans le jardin des morts.
Ils passent les nuits où ils peuvent. La campagne environnante, les flancs du plateau, les grands vides, au pied de l’Aguedal, se peuplent de leurs tentes. Derrière la ville française, du côté de la gare, ils sont quelque dix mille à camper, venus de la seule Fez. Pendant trois jours, un vent de folie tourne autour de Meknès. Les antiques zoolâtries ressuscitent, les hommes-hyènes, les hommes-panthères, les hommes-chameaux se démènent, chacun habillé d’une peau de l’animal qu’il incarne et dont il imite les cris, les allures et jusqu’à la façon de se repaître. Il s’agit de sortir de l’état humain. On dévore de la chair pourrie, de la chair crue encore vêtue de sa laine, des chardons, des épines de ...


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VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio125

- Cavaliers sous Bab Mansour.


... cactus, des scorpions. Par rangs, par cercles, on se livre aux exercices qui produisent l’hypnose et l’anesthésie. Pendant des heures, dans le vacarme et à la cadence invariable des tambours, avec une monotonie maniaque, les corps sursautent ou se balancent.
Le jour du moussem, la procession se déroule, oriflammes au vent, dans un charivari sauvage. Les chefs sont à cheval, leurs montures harnachées d’or et de velours. Procession hurlante de cent mille convulsionnaires, et qui va du tombeau de Si-Aïssa jusqu’au village que le saint habitait. L’an dernier, sous les yeux du pacha, elle a passé pendant près de huit heures.
Combien de temps encore de telles scènes seront elles possibles ? On note quelques changements. Depuis l’arrivée des Français, les plus fanatiques ne s’exhibent plus en état de nudité totale.
Au centre de Meknès, entre la medina et les vastes murailles de l’Aguedal, s’ouvre l’impériale Bab Mansour. Qui n’en connaît au moins l’image ? Les agences de tourisme l’ont répandue à profusion sur les murs de toutes les grandes villes d’Amérique et d’Europe. C’est l’architecture la plus magnifique du Maroc, —je ne dis pas la plus belle. Pour le style, l’harmonie des proportions, la plupart des autres portes de Meknès lui sont bien supérieures. Mais nulle part, dans l’Islam africain, il n’en est de si grande et d’aussi fastueuse. Elle est persane par la couleur, tout entière bleue ou bleu vert, comme les ...


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- Cavaliers sous Bab Mansour.



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VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio126

- Une porte de l'enceinte de Meknès.


... mosquées d’Ispahan. Son arche colossale, le carré de son encadrement, les deux bastions avancés qui la flanquent sur des colonnes de marbre sont ruchés d’un réseau d’entrelacs vermeils qui met comme un semis stellaire sur ce fond de tendre azur. Tous les motifs hispano-mauresques y sont réunis : les arcs polylobés, les claustra, les niches, les gaufrures des surfaces, les enroulements floraux d’un bleu sombre dans les angles, les lacis de lettres arabes qui courent sur les frises.
Cette merveille surgit d’un simple mur militaire, l’un des multiples remparts, aujourd’hui tout excoriés, déchaussés, dont Moulay Ismaël avait clôturé les espaces de son immense kasba. Par cette arche, conçue à la mesure de son orgueil, ce formidable despote, que Louis XIV lui-même traitait d’empereur dans ses missives, rentrait chez lui. Il faut l’imaginer passant là, au retour de ses guerres, la lance au poing (à quatre-vingts ans, à cheval, il ne la quittait pas) entouré de ses étendards, suivi de ses vizirs, de ses kaïds, de ses tabors, du harem de cent femmes qui l’accompagnait dans ses expéditions, et de la procession de ses chameaux chargés de butin et des moissons de têtes coupées.
Sous Bab-Mansour, s’affaire, s’amuse ou flâne le petit peuple du Grand Marché. Le décor est incomparable. La triomphale porte bleue, la longue loggia où je ne vois plus les hommes de garde qui passaient leur temps à siroter du thé; la profonde ogive de Sidi Labdine, où s’encadrent les lointains bleutés du pays; le mur d’enceinte qui plante dans ce ciel sa ligne de merlons; et tout au fond du vaste quadrilatère, le toit vert du Dar Djamaï, ...


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- Une porte de l'enceinte de Meknès.



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VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio127

- Bab Mansour et le pavillon des gardes.


... les cyprès de son jardin et la riante fontaine de mosaïque polychrome à son pied, quel cadre pour les couleurs et les scènes d’un marché arabe !
Celui-ci est moins fourmillant que la fameuse place de Marrakech, mais, à part les petits danseurs chleuhs, on y voit les mêmes scènes de vie populaire, les mêmes jeux et les mêmes magies. Et, sur ce fond d’architectures mauresques, les figures prennent une autre valeur. Partout se composent des tableaux de grand style. Ces humbles vendeuses de laine, par terre, en rangs sous le pavillon des gardes, que ne puis-je les peindre ! Rien que du blanc : blanc pur de leurs paquets d’écheveaux et de flocons, blanc poudreux de la massive draperie qui les couvre de ses plis, blanc lumineux des piliers, des arceaux et, par derrière, le demi-jour blanc qui flotte à l’intérieur du portique. Elles sont là, ramassées dans un ruban d’ombre, immobiles, patientes, secrètes sous le pan d’étoffe d’où ne sortent qu’un noir regard et des bras de cuir ridé où brillent des anneaux.
Des mokhaznis à cheval, et avec eux, une troupe d’enfants débouchent de Bab Mansour, et tout d’un coup les manteaux bleus des cavaliers, les voiles orangés et roses des enfants entrent dans la lumière. Tout le pied de l’enceinte, du côté de la ville, est bordé de flâneurs, fumeurs de kif, rêveurs effondrés dans leurs ternes burnous, et qu’on prendrait de loin pour un talus de poussière sur la poussière. Il y en a trois, étendus sur le dos, qui semblent dormir du sommeil dont on ne se réveille pas. Trois longs paquets pareils, rangés l’un à côté de l’autre — le corps, la tête enveloppés de laine grise, leurs pieds gris dressés tout droit en l’air, — comme des cadavres sur lesquels on a jeté des couvertures.
Et voici les jeux. Ici un âne baladin qui danse sur ses jambes, au son d’une perçante musique. Pauvre bête, si patiente ensuite, et qui ferme les yeux quand son maître ...



VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio164

Bab Mansour et le pavillon des gardes.




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VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio128

- Marchand de laine.

- Le vendeur d'eau.


... l’a fait coucher à terre et lui saute brutalement sur le flanc, pour le trépigner d’une saltation endiablée en nous criant je ne sais quoi.
Ailleurs, deux beaux jouteurs s’escriment en artistes du bâton. Leur lutte est plutôt une danse, admirable de fantaisie, de grâce énergique et légère. Deux hommes maigres, à barbe poivre et sel. Le plus grand bondit en l’air, souriant, la tête détournée de l’adversaire, dont il frappe en retombant la garde. Quel détachement, quelle justesse négligente, quel esprit dans leurs gestes d’attaque et de défense !
A travers leurs pirouettes, les bâtons descendent en sifflant ; ils ont l’air de frapper très fort, mais à l’instant du choc, ils savent invisiblement retenir leur coup.
Et les conteurs, les chanteurs, les thaumaturges, on ne se lasse pas de les voir, mais faut-il encore les décrire ?
De tout ce que j’ai vu sur la place El Hadine, je ne veux plus noter qu’un petit trait qui m’a charmé. La tasse, brillante comme de l’or, que promène le vendeur d’eau est à demi-pleine de feuilles de roses et de menthes. Quand l’homme demi-nu penche sur le gobelet l’outre velue qui charge son épaule, et que le jet s’en est répandu dans ce minuscule jardin, le cristal en semble plus pur, plus froid et merveilleux. Le buveur a l’illusion de porter ses lèvres à une source qui tremble sur des ...


VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio165

- Marchand de laine.


VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio166

- Le vendeur d'eau.



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VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio129

- Place El Hadine.


... verdures et des fleurs ; ses narines croient respirer l’arome des herbes et des pétales. Il peut alors louer Allah qui a créé l’eau délicieuse, murmurer l’action de grâces qui s’inscrit parfois dans la mosaïque d’une fontaine.
Ce primitif commerce, ce marchand demi-sauvage dont le soleil a brûlé les bras et les cuisses, l’outre en peau de chèvre où pointent les moignons de pattes de la bête, et cet exquis raffinement qui met de la poésie dans une tasse d’eau, c’est encore un des contrastes qui nous étonnent à chaque pas que nous faisons dans le monde arabe.

III

A l’Aguedal, qui fut la merveille de Meknès, et n’est plus qu’un immense champ de ruines, règne encore l’ombre terrible d’Ismaël. Ce sultan, a-t-on dit, ne construisait que pour se donner une raison d’abord de détruire. A Marrakech, il a renversé le glorieux ensemble de palais qu’était l’El Bedi, dont il ne subsiste que cette relique adorable : les tombeaux saadiens. A Meknès, il a rasé une partie de la medina et tous les monuments de ses prédécesseurs pour y édifier les siens. A ces bouleversements, il donnait, sous forme imagée, une raison politique. Des souris, disait-il, enfermées dans un sac, le grignotent ; il n’y a qu’à secouer et secouer le sac pour les empêcher de le percer et de s’évader.
Mais ce n’est pas seulement pour tenir ses sujets occupés qu’il a tant démoli et construit. Tout ce que l’on sait de son monstrueux orgueil dit son intention secrète : ...



VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio168

- Place El Hadine.



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page 126

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio130

- Bab Mansour.


... effacer les marques de ses prédécesseurs, ne rien voir autour de lui que son œuvre et les signes de sa toute-puissance. Il admirait son contemporain Louis XIV comme « dominateur de l’Europe ». Est-ce une légende qui dit qu'en créant l’Aguedal, il voulut dépasser les constructions du Roi-Soleil ? Il a réussi. La ville impériale, telle que l’a décrite, au début du XVIIIe siècle, un voyageur anglais, avait quatre milles de tour. Les remparts, en y comprenant ce qu’ils enveloppaient de campagne, s’étendaient sur dix lieues. L’enceinte contenait cinquante palais et toutes sortes d’autres édifices : des forts, des mosquées, des prisons, des arsenaux, des magasins voûtés, des écuries pour des milliers de chevaux, un arsenal « long de près d’un quart de mille ». Un des couloirs entre ces bâtiments avait un kilomètre de longueur. Ajoutez les cours de manœuvre et de parade, les étangs, les jardins, les pâturages. John Windus a vu toute une vaste prairie entourée d’arcades vêtues, jusque par-dessous, de mosaïque.
Comment, d’un Empire qui ne comptait pas cinq millions d’âmes, l’effréné bâtisseur tirait-il de quoi suffire à sa mégalomanie ? Par l’exploitation à outrance de son peuple.




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- Bab Mansour.



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page 127

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- Bassin de la maison aux Colonnes à Volubilis.


Il n’avait rien à dépenser : matériaux réquisitionnés, labeur forcé des captifs nègres, berbères, chrétiens, et s’ils ne suffisaient pas, de ses sujets. Trente mille hommes travaillaient chaque jour à satisfaire ses fantaisies. Ses énormes constructions s’expliquent comme celles de Rome et de l’antique Orient : des multitudes peinant sous le fouet et la menace de la mort.
Mais l’Aguedal, qui n’a que trois cents ans, est en ruines. A part quelques colonnes romaines apportées, disent les chroniqueurs, de Oualili (Volubilis), tout y était de pauvre matière. Les merveilleuses ciselures ne décoraient que du plâtre, le plâtre ne couvrait que du toub. Les prestiges de l’ornementation la plus subtile sur un soutien de terre battue, c’est comme la coupe de roses et de menthes où le vendeur d’eau épanche l’eau d’une outre en poil de bête, une image de cette civilisation arabe où des formes de pensée et de vie primitives s’allient à des grâces de savoir-vivre, à des perfections d’art, à d’exquises finesses de manières et de sensibilité. « Je suis au milieu du peuple le plus civilisé du monde, » écrivait, en 1681, encore un Anglais. Mais la plupart des voyageurs européens notaient d’abord la barbarie.
Moulay Ismaël fut un monstre. On dit qu’il a tué trente mille de ses sujets. Sur son entourage — esclaves, femmes et courtisans — il opérait lui-même, de la lance, du poignard ou de l’épée. Au moment de se présenter devant lui, saint Olon, ambassadeur du roi de France, fut averti que « ce prince était de mauvaise humeur, presque hors de soi-même à cause d’une exécution qu’il venait de faire à coups de couteau sur deux de ses principaux noirs ». Quand il parut, « son bras droit et ses habits étaient encore couverts de sang ». Il avait des lions que des nègres étaient chargés de nourrir, mais parfois c’était eux qu’il faisait jeter en nourriture à ces fauves. Le Père Busnot raconte que, visitant des travaux, et « se mettant en tête qu’ils n’avançaient pas assez vite, ...


VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. - Page 5 Visio170

- Bassin de la maison aux Colonnes à Volubilis.





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- Dans les ruines du palais du Sultan Moulay Ismaël.


... il fit venir aussitôt l’Alcaz-el-Malek, et commença par lui faire donner cinq cents coups de courroie de cuir, après l’avoir lui-même bâtonné. Ensuite, sa fureur échauffée par ce premier coup d’essai, il massacra les Maures et les renégats qui se trouvèrent sous sa main... Les uns eurent la tête fendue, d’autres les bras coupés; il en perça d’autres de son couteau. On ne voyait autour de lui qu’horreur et que carnage » (1).
Un des exercices où il aimait à montrer sa force et son adresse était, en sautant en selle, de décapiter d’un élégant revers de sabre le serviteur qui lui tenait l’étrier. Il inventait des supplices; il châtiait ses concubines en leur faisant serrer les mamelles sous le couvercle d’un coffre sur lequel il sautait. Ses vizirs et kaïds ne recevaient ses ordres que pieds nus, en habit d’esclave, à genoux, et tendant le cou comme à la hache ...

(1) Cité par M. Pierre Champion dans Tanger, Fès et Meknès. Quelques uns des détails que nous donnons sont empruntés au livre de M. Defontin Maxence : Le grand Ismaël empereur du Maroc.


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- Dans les ruines du palais du Sultan Moulay Ismaël.



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... du bourreau. Ce petit mulâtre maigre à barbe fourchue, qui eut mille femmes, huit cents enfants, et vécut jusqu’à quatre-vingt ans, ce pieux chérif, théologien, et qui prêchait à la mosquée, a dépassé les pires Césars en férocité. L’Orient seul a présenté de tels exemples du degré d’hypertrophie auquel peut atteindre le moi d’un homme quand, isolé dans l’absolu de la puissance, affranchi du lien social, il ne connaît plus de frein.
De l’Aguedal, trop vaste et dispersé, il ne m’était resté que des impressions confuses. Celles que j’en rapporte aujourd’hui ne sont pas plus précises. Comment se reconnaître dans ce prodigieux désordre de ruines et d’enceintes qui se ressemblent toutes ? Au temps où tout y était neuf et vivant, l’envoyé de Louis XIV disait déjà qu’il serait « très difficile aux plus habiles architectes de démêler l’économie et le dessein de l’Alcassave ».
Ce que j’en revois d’abord, c’est l’entrée par Bab Mansour, qui s’ouvre dans la première muraille. On passe sous les nappes bleues et brochées du triomphal portique, sous les orgueilleuses inscriptions à la gloire de l’Islam et de Moulay Ismaël, — et de l’autre côté, plus rien que de la terre nue, des traînées d’herbe, un vaste enclos dénivelé où stagnent des flaques d’eau. Cela s’allonge entre deux courtines à redans, dont il ne reste que le dessous écorché d’argile. Derrière la crête à demi-fondue de la clôture intérieure, un vieux minaret brodé de vert garde religieusement cette solitude.
Je suis retourné là plusieurs fois, attiré par la grandeur mélancolique du lieu. A part le petit cheminement de passants qui le traversent d’une voûte à l’autre, je n’y ai vu de vivant que des mendiants affaissés — pour toujours, dirait-on ,— au pied du premier rempart, et quelques ânes galeux cherchant une maigre pâture. Sans doute, il y eut ici une de ces esplanades où Moulay Ismaël déployait ses pompes militaires. Tout est abandonné au temps, à la nature et à la mort.
Ensuite, une succession de cours, de portes, de tunnels, de couloirs sous des parois de toub complètement dénudé. Des murs, des murs d’un ton jaune ou brun, marbré de rouge, des murs rongés, bosselés, herbeux comme des falaises naturelles. Les mêmes, chardons et broussailles s’y accrochent, les mêmes cactus à raquettes, les mêmes petits oliviers et figuiers en peuplent le faîte, qui, par en bas, ont envahi les talus de débris.
L’un de ces corridors semblait sans fin, une profonde sape, d’une longueur telle que ses deux lignes sur le ciel se rejoignaient au loin et semblaient fermer l’issue. Est-ce celui que Moulay Ismaël prétendait continuer jusqu’à Rabat pour qu’on put y passer à l’abri des pillards berbères ? Par terre, des pieds de colonnes, des tronçons de marbres bordent cette obsédante perspective.
Enfin le ciel s’ouvre, de grands espaces se déploient, une sorte de plaine jonchée de ruines, sombres et grandes comme celles de la campagne romaine. Des arches brisées, suspendues sur des champs déserts, des portes monumentales derrière lesquelles il n’y a rien, des pans de murs démantelés, des tours carrées qu’on prendrait pour des campaniles italiens, des massifs étagés de bastions. Au bord d’un triste étang, des rangs d’énormes piliers terreux ressemblent à des restes d’aqueduc. Mais au loin, un minaret solitaire et, de temps en temps, des triangles de tuile verte et toute chevelue de graminées, — toitures de palais fermés depuis très longtemps, et qu’on laisse mourir de vieillesse — nous rappellent que nous sommes en pays d’Islam.
Ce n’est pas une ville, mais plusieurs villes détruites que semblent entourer tant de remparts proches ou lointains. De tous les côtés courent les lignes de créneaux que ...


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... Moulay Ismaël a multipliées pour s’y murer plus impénétrablement avec ses trésors et ses harems. Impossible d’y découvrir un plan. Elles se dédoublent, s’entrecroisent sans raison, enveloppant, avec les grands débris épars, des nappes de blé, des prairies en ce moment couvertes de marguerites, toute une campagne de plus en plus rase vers l’ouest, et qui par là s’abaisse et se perd dans le pays vide, sans qu’une dernière courtine, insignifiante à cette distance, paraisse l’en séparer.
Parmi tant d’images qui se mêlent dans ma mémoire, malgré plusieurs visites à l’Aguedal, quelques-unes surnagent et se laissent noter à part. D’abord, derrière la première enceinte, le Dar Kebira, occupé par des chorfa, — une cinquantaine de familles, l’actuelle postérité de Moulay Ismaël. On trouve là de petits cloîtres pleins de fleurs, dont les délicats péristyles n’ont plus toutes leurs colonnettes, mais des vignes grimpantes en masquent les vides de leurs guirlandes. Sur les murs, le stuc des panneaux est devenu gris; c’est une tenture fanée qui tombe en lambeaux, mais ces lambeaux ne sont que broderie. Ça et là, de grandes étoiles de zelliges, bien éteintes, enchevêtrent leurs lignes de rayons. Combien touchantes, ces précieuses choses d’autrefois sous les énormes massifs dévastés !
Parmi ces vestiges de l’ancienne splendeur, les petits neveux de Moulay Ismaël semblent de pauvres hères. Ceux que j’ai vus par terre, à l’ombre d’un portique, ne différaient pas, dans leurs burnous flétris, des meskinns qui dorment autour du marché. Ils logent dans des gourbis, parmi les décombres, les épluchures et les pigeons. Leur chef, un vieux chérif qui traînait de terreuses savates, nous a conduits à des koubbas consacrées à des saints de sa parenté, et puis à un petit cimetière où l’on enterrait les enfants de la famille. Il nous parlait de ses grands ancêtres, de celui qui « a couronné de gloire le Maroc », et de son successeur, Moulay Abdallah, en regrettant que celui-ci ait démoli les plus belles constructions de son père.
Je me rappelle aussi un village nègre où sont cantonnés les descendants des noirs qui gardaient le terrible despote. Un vrai village soudanais, des paillotes adossées à un môle croulant où s’érigeaient des cigognes.
Et puis l’entrée du Dar Maghzen, le palais de Moulay Ismaël, ou plutôt sa propre kasba, formidablement retranchée, à part dans l’immense kasba qu’était cet ensemble dispersé de bâtiments et de remparts qu’on appelle aujourd’hui l’Aguedal. On n’en voit que la porte, très grande, très haute, entre des colonnes classiques, sur un côté de l’interminable couloir dont elle seule rompt la monotonie. On aperçoit une cour, une voûte qui s’ouvre sur une autre cour, et par derrière, de longs toits lointains. C’était toute une cité mystérieuse qui s’enfermait là. Elle demeure interdite : il paraît que les dernières survivantes des harems impériaux y finissent leurs jours sous la garde d’eunuques.
De vieilles femmes recluses qui furent aimées par des sultans, des nègres fainéants dont les aïeux paradaient, il y a deux cent cinquante ans, autour de l’Empereur du Maroc, de tristes chorfa, en qui le sang de l’ardent aïeul est si bien éteint, ce petit monde, c’est à peu près tout ce qui vit encore parmi les grandes ruines. Quelque chose comme les dernières feuilles qui s’étiolent sur le rameau d’un puissant chêne dont tout le reste a fini de mourir.
J’ai vu aussi de vieux kiosques charmants, des pavillons faits pour le rêve, ...


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Sous les daturas en fleurs.



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